Interviewé en juillet 2014, le chef de l’État burkinabè, Blaise Compaoré, n’éludait aucune question. Son avenir après 2015, la révision de la Constitution, l’opposition, la crise malienne, Hollande, Gbagbo, Sankara… « Jeune Afrique » vous propose de relire cet entretien.
On est loin des fourmilières où l’on fait semblant de s’agiter que l’on rencontre si souvent sous d’autres cieux africains. Direction la partie résidentielle du palais, à quelques centaines de mètres. On nous installe dans un des salons à la décoration chargée. Le chef de l’État, Blaise Compaoré, fidèle à ses habitudes, est pile à l’heure du rendez-vous. Décidément, il ne fait rien comme les autres…
S’il ne goûte guère l’exercice de l’interview, et cela se sent, il n’a demandé aucun protocole d’entretien et accepte de répondre à toutes nos questions sans s’y être préparé. Même celles censées le gêner : la fin de son dernier mandat en 2015 et la modification éventuelle de la Constitution, Thomas Sankara, ses anciens lieutenants entrés en dissidence, dont Salif Diallo, compagnon de la première heure et témoin privilégié des trois dernières décennies du Burkina.
IL SE MONTRE NETTEMENT PLUS FRANC QUAND ON ABORDE LA POLITIQUE INTÉRIEURE ET SON CAS PERSONNEL.
Un des rares hommes du pays, avec le général de division et chef d’état-major particulier du président Gilbert Diendéré, à être dans le secret des dieux. Réservé et diplomate, pour ne pas dire langue de bois, dès qu’il s’agit de l’extérieur et notamment de la crise malienne où il mène une médiation à éclipses, il se montre nettement plus franc quand on aborde la politique intérieure et son cas personnel.
Évidemment, il ne nous dira pas qu’il compte bien se représenter – en tout cas organiser un référendum pour abroger le verrou constitutionnel de l’article 37 – en décembre 2015. Nul besoin cependant de s’appeler Cassandre ou Protée pour deviner, y compris entre les lignes, qu’il envisage plus que sérieusement cette option. Le personnage a le goût des épreuves et l’adversité agit souvent sur lui comme la muleta sur un taureau. De là à imaginer que le front de l’opposition qui s’est ligué contre lui et son projet de référendum constitutionnel ne fait qu’exacerber son envie d’en découdre dans les urnes… Entretien.
Jeune Afrique : Vous revenez d’une visite officielle de deux jours au Mali, chez votre homologue Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avec lequel vous entreteniez jusqu’ici des relations plutôt tendues. Comment s’est-elle déroulée et que vous êtes-vous dit ?
Blaise Compaoré : Il s’agissait avant tout d’une visite d’amitié et de travail, entre deux pays voisins préoccupés par la grave crise qui frappe depuis deux ans le Mali. L’objectif principal était d’évaluer ce que nous pouvions faire ensemble pour accélérer le rétablissement de la paix et de la stabilité. Compte tenu des liens qui nous unissent depuis des siècles, ce qu’il se passe au Mali ne peut que concerner le Burkina.
Quelle est votre évaluation de la situation ?
Depuis les événements de Kidal, il y a quelques semaines, la tension est évidemment perceptible. Mais j’ai cependant l’impression que la volonté de trouver des solutions politiques existe désormais. À preuve, les contacts de part et d’autre ont été repris.
Et avec IBK, ça va mieux ?
[Rires] Vous savez, nous nous connaissons depuis très longtemps…
On a pourtant dit qu’il vous en voulait, notamment d’avoir soutenu son adversaire lors de la présidentielle, Soumaïla Cissé…
Cette question, qui repose sur des rumeurs, est derrière nous depuis longtemps. Nous en avions déjà parlé lors d’une rencontre à Nouakchott et ne l’avons donc pas évoquée lors de ma visite. Cela n’affecte en rien nos relations, je vous l’assure.
Pensez-vous que le dialogue politique a, cette fois, une chance d’aboutir ?
Il n’y a pas d’autre issue. Chacune des parties en a conscience, je crois. Et la communauté internationale nous accompagne pour y parvenir.
Peut-on négocier avec tout le monde ? Notamment avec le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), qui semble être le groupe le plus fort sur le terrain. Ou le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), voire le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ?
Il faut discuter avec les signataires de l’accord du 18 juin 2013 [qui prévoyait l’élection présidentielle et des pourparlers inclusifs de paix], dont certains de ces groupes faisaient partie, mais aussi avec les autres groupes, pour peu qu’ils veuillent participer à la recherche d’une solution. Je rappelle cependant que, lorsque nous nous sommes vus à Ouaga pour sceller cet accord, ces mouvements ne voulaient même pas se parler ni s’asseoir à la même table des négociations…
ON DIT CHEZ NOUS QUE TROP DE VIANDE NE GÂTE PAS LA SAUCE.
Le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, est-il toujours un interlocuteur ?
À partir du moment où le gouvernement malien a fixé les bases de la discussion, à savoir le respect de l’intégrité du territoire et le rejet de l’extrémisme religieux, tous les Maliens impliqués qui respectent ce schéma doivent être écoutés. C’est en tout cas ma conviction.
Il est tout de même difficile d’imaginer des discussions sereines et efficaces avec autant d’interlocuteurs. On se perd maintenant également entre les médiateurs : Algérie, Maroc, Mauritanie, Burkina… N’est-ce pas de nature à compliquer davantage la résolution de cette crise ?
On dit chez nous que trop de viande ne gâte pas la sauce [rires]. Nous nous connaissons bien, nous sommes tous concernés par cette situation et nous nous concertons très régulièrement. Si cela permet d’aboutir plus rapidement à un nouvel accord, dans les semaines à venir donc, nous aurons réussi. Dans le cas contraire, il y aura lieu d’être inquiet, très inquiet même.
Militairement, où en est la traque des jihadistes d’Aqmi depuis le déclenchement de l’opération française Serval ?
D’après nos informations, leurs capacités opérationnelles ont été considérablement réduites. Mais ne nous leurrons pas, ils n’ont pas disparu, et la menace n’a pas été anéantie. Il faut donc rester vigilant.
Qu’en est-il de la présence militaire française au Burkina ?
On parle de quelques dizaines de membres des Forces spéciales… Nous coopérons effectivement avec la France, notamment en raison de son intervention militaire au Mali. Pour l’instant, donc, ils sont là, tant que la situation l’exigera.
A appris dans les colonnes de jeune Afrique
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